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Héritage et renouvellement

de la Théorie Critique

entretien inédit avec Axel Honneth

réalisé par le Groupe International

d'Etudes sur la Théorie Critique


M. Basaure : Cher Axel Honneth, au nom du Groupe International d'Etudes sur la Théorie Critique1, je voudrais vous remercier cordialement pour cet entretien. La préparation de cet échange a été pour nous l'occasion d'effectuer des lectures sur plusieurs semaines et de mener des discussions communes sur votre approche particulière de l'héritage intellectuel de La dialectique de la raison de Theodor Adorno et Max Horkheimer. Notre intérêt porte principalement sur la réception de ce livre dans ce que l'on appelle la « troisième génération » de l'Ecole de Francfort dont vous êtes l'un des plus importants représentants actuels.

T. Fath (modérateur) : Axel Honneth vous êtes revenu de manière récurrente dans vos travaux à La dialectique de la raison et vous faites parties des théoriciens qui, dans le cadre de l'élaboration de leur propre théorie, ont discutée cette oeuvre le plus en détails. Comparé à d'autres auteurs, vous avez toujours évité une lecture clôturante : il ne résulte en aucun cas de votre étude continue de La dialectique de la raison une valorisation générale et uniforme de celle-ci. Il ressort au contraire de votre travail différentes tentatives d'interprétation critique et distante de ce texte fondamental. Vos différentes lectures de La dialectique de la raison sont au centre du premier groupe de questions.
Permettez-moi toutefois de vous poser auparavant la question introductive suivante : en tant que directeur de l' Institut für Sozialforschung , vous êtes le successeur institutionnel de Max Horkheimer, et comme lui à son époque, vous êtes titulaire d'une chaire de philosophie à l'Université de Francfort. Cela vous confère-t-il dans une certaine mesure une obligation à l'égard de la personne de Max Horkheimer ?

A. Honneth : Non. Je ne dirais pas que je ne me sens obligé à l'égard de la personne de Max Horkheimer. J'ai d'ailleurs de la difficulté à me représenter ce qu'une telle chose pourrait signifier. Je n'ai jamais connu Horkheimer, et en fait, je ne sais pas du tout cela pourrait signifier de me sentir obligé à l'égard de sa personne. En outre, tout ce que je sais de la personne d'Horkheimer n'est pas de nature non plus à fournir à quelqu'un qui ne le connaît pas des raisons de se sentir obligé à son égard. Vous savez qu'il a toujours existé une certaine tension entre Horkheimer et Habermas, et que le premier a observé l'évolution du second avec un scepticisme déclaré, qui provient probablement du fait que Horkheimer - comme il l'a formulé dans une lettre2- voyait en Habermas un théoricien trop marxiste, et cela à un moment où il considérait qu'il était impératif de tenir le marxisme plutôt à distance de l' Institut für Sozialforschung. A cause de cela, il a dans l'ensemble toujours un peu mis en garde Adorno contre Habermas, et il a refusé, comme vous le savez, l'habilitation de Habermas ici à l'Institut. C'est la raison pour laquelle Habermas n'a pas fait son habilitation à Francfort, mais à Marburg. Et quand je songe à cette histoire, je pense qu'il y a peu de raisons de se sentir obligé à l'égard de la personne de Horkheimer.


(...)

(1) Groupe d'étude associé à l'Institut für Sozialforschung (IfS) de l'Université Johann Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le-Main (www.ifs.uni-frankfurt.de/english/intstudy.htm). Cet entretien a eu lieu le vendredi 29 avril 2005 dans la salle Theodor Adorno de l'IfS . Les membres du groupe qui y participèrent sont, par ordre alphabétique : Mauro Basaure (Chili), Aurélien Berlan (France), Thorsten Fath (Allemagne), Jaeho Kang (Corée du Sud), Ming-Chen Lo (Taiwan), Valerie Moser (Autriche), Asako Nagasawa et Shuichi Nyuya (Japon), Michele Salonia (Italie), Vanessa Vidal (Espagne) et Ersin Yildiz (Allemagne).
(2) Voir la lettre de Max Horkheimer à Theodor W. Adorno du 27 septembre 1958. Voir également : R. Wiggershaus, «  Jürgen Habermas - endlich ein Gesellschaftstheoretiker am Institut, von Adorno hochgeschätzt, von Horkheimer für zu links befunden  » , in : Wiggershaus, Die Frankfurter Schule, Munich, 1986, chap. 7, p. 597-628.


Nb : la totalité de cet entretien est disponible dans la version papier de Cités.