Sommaire général
 
  Dossier : Le démembrement de la parenté.
La société recomposée
 
 

L'inconnu dans la maison

Claude Sureau


Introduction

L'enfant à naître fut longtemps pour ses parents, sa mère en particulier, comme pour les praticiens qui l'assistaient, un véritable « inconnu » ; sa réalité, son existence, sa vitalité n'apparaissaient qu'à sa naissance, « vivant et viable », comme le dit le droit positif français. Avant celle-ci, il ne se manifestait que par ses « mouvements actifs », plus ou moins bien perçus, mais aussi les tourments qu'il faisait endurer à sa future mère lors de son enfantement, et parfois, trop souvent, hélas, par la mise en péril de la vie de celle-ci, par exemple lorsqu'il « se présentait mal »1 ; les risques qu'il courait conduisaient aussi à s'interroger sur son destin spirituel et ce souci explique certaines attitudes qui furent parfois préconisées pour le salut de son âme, telles que l'extraction chirurgicale, après le décès de la mère2, voire avant3 et bien entendu, à cette époque, sans anesthésie, dans le but de le baptiser et de lui éviter ainsi une éternelle errance.

La médecine, grâce à l'intuition géniale de Jacques Alexandre Le Jumeau, vicomte de Kergaradec, qui inventa l'auscultation obstétricale et découvrit ainsi les bénéfices que l'on pouvait en espérer, accomplit alors un véritable bouleversement conceptuel : cette technique permit en effet de reconnaître la vie du foetus (et de manière moins formelle son éventuelle mort), mais aussi de dépister les menaces que le travail de l'accouchement, les contractions utérines, faisaient peser sur sa vitalité et donc son avenir4. Il n'est pas exagéré de dire que cette révolution médicale contenait en germe toute l'évolution ultérieure, vers la médecine qui fut d'abord périnatale, puis plus spécifiquement foetale ; immédiatement apparaît alors un élément qui méritera des développements juridiques : parler de « médecine du foetus », c'est reconnaître « le foetus comme un patient ». On reviendra sur ce point fondamental qui conduit à s'interroger sur la « nature », le « statut » de cet être prénatal, être ou personne?

 

(...)


(1)
C. Sureau, Fallait-il tuer l'enfant Foucault ? , Stock, 2003.
(2) Discussion à l'Académie de médecine 1861, Lejumeau de Kergaradec/Depaul.

(3) Francesco Cangiamila, L'embryologie sacrée .

(4) Académie Nationale de médecine, séance du 26 décembre 1821.



Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version papier de Cités.