« Secrets et mensonges » :
la poétique de la découverte
Béatrice Magni
Le « thaumazein » est l'étonnement pour ce qui est en tant qu'il est : la philosophie se conçoit par cette expérience fondamentale, qui est l'étonnement sans parole. Le « thaumazein » commence par l'étonnement et se termine par l'absence de mots : un véritable choc qui, au moins à partir de Platon, traverse toute philosophie et sépare celui qui décide d'y demeurer de ceux qui vivent avec lui. De façon semblable, le cinéma s'est donné pour vocation, dès son origine, de susciter un élargissement des horizons de l'esprit 1, pour apprendre à voir ce qu'on n'arrive pas à voir. Il s'agit, le plus souvent, de voir de façon indirecte et oblique, étant donné que - c'est la leçon de Kubrick - il y a un sentir qui ne se réduit pas au voir, ni à ses dérivations étymologiques, les idées ou les théories : il faut croire à nos yeux, tout en sachant que voir, ce n'est pas croire 2, et qu'il faut être capable de rester en même temps au-dessus du voir (vers le temps, l'ailleurs, la vérité), et au-dessous (vers le corps, la matière vivante) 3.
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Le point de départ de cet article est le film Secrets and Lies (1996) du réalisateur britannique Mike Leigh. Le film raconte l'histoire d'Hortense, une jeune femme noire, instruite, partie à la recherche de sa véritable mère, qu'elle retrouve en la personne d'une Blanche, Cynthia, habitant les quartiers populaires et mère de deux autres enfants, Monica et Maurice. La stupéfaction et les préjugés rencontrés par Hortense dans sa nouvelle famille cèdent peu à peu la place au respect et à la compréhension réciproques (N.d.l.R.).
(1) Voir Damon Knight, In Search of Wonder, Chicago, Advent, 1967, p. 12-13: « ... un élargissement des horizons de l'esprit, peu importe dans quelle direction - le décor d'une autre planète, ou la vision qu'un corpuscule peut avoir d'une artère, ou ce qu'on ressent quand on est en rapport avec un chat... toute nouvelle expérience sensorielle impossible personnellement pour le lecteur est de l'eau pour notre Moulin... ».
(2) A. Besussi, « Amorose distanze. Divagazioni spettatoriali », in Aut aut , mai-juin 2002, p. 81-89.
(3) E. Terrone, « I limiti del cinema e il cinema del limite », in Segno Cinema , janvier-février 2002, p. 8-12.
Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités. |