L'envers du pouvoir.
Le secret politique chez Machiavel
Cristina Ion
Une longue tradition d'interprétation associe le nom de Machiavel à la légitimation du secret comme méthode politique. Paradoxalement, cette tradition coexiste avec une autre qui associe les écrits machiavéliens à l'inauguration de la science politique moderne, donc à la découverte d'une nouvelle vérité politique. Il semblerait en effet que, au moment même où Machiavel effectue le geste novateur d'aller à la « vérité effective des choses » pour mettre ses considérations à la disposition du prince, cette vérité se dérobe aux yeux des gouvernés. Un double renversement est ainsi opéré : sur le plan épistémologique, le savoir politique se détache de la connaissance des fins pour se recentrer sur les choses telles qu'elles sont ; sur le plan du gouvernement, le choix de la vertu s'efface au profit des méthodes occultes imposées par la nécessité. Lorsque le monde politique s'obscurcit, il revient aux hommes prudents de savoir déceler la vérité derrière le voile des apparences. La diplomatie, le fonctionnement institutionnel des États et l'action des hommes sont tous confrontés à une précipitation des événements qui éloigne le monde de leur portée. Il se met en place, dès lors, un formidable effort pour donner à la pensée et à l'action prise sur les choses. L'idéal de maîtrise remplace l'idéal de perfection et promeut le secret dans toutes ses variantes (simulation, dissimulation, mystère) comme moyen de gouverner.
Il convient cependant de nuancer ce tableau. La vérité que Machiavel dévoile n'est pas une vérité des principes qu'il faut aller chercher au-delà du particularisme insignifiant des événements, pas plus que l'exercice du pouvoir n'est contenu entièrement dans une domination organisée loin du regard de ceux sur lesquels elle s'exerce. La connaissance de l'histoire et de la nécessité naturelle ne parvient pas à mettre au jour des lois et à occuper totalement la place du savoir politique, ni la technique et le secret à épuiser l'exercice du pouvoir.
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Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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