Bentham ou les paradoxes de la transparence
Jean-Pierre Cléro
On ne peut pas dire que le thème de la transparence soit une nouveauté dans la philosophie politique et sociale du XVIII e siècle. Il divise les penseurs entre les contractualistes qui tendent plutôt à mettre en pleine lumière les rapports politiques et sociaux et ceux qui, se faisant l'avocat du diable, récusent le contrat comme modèle politique et juridique et dénoncent une société qui, au nom de la vertu, disqualifierait le secret, l'obscurité des rapports entre ses membres et qui, en raison même de ses rêves de pureté, se rendrait radicalement invivable. Dans La fable des abeilles , Mandeville avait montré que la volonté de moraliser les rapports d'une société moderne complexe équivalait à désirer sa régression à la rudesse des moeurs anciennes et, en réalité, à son effondrement et à la perte de tous. Les bijoux indiscrets , reprenant à leur façon le mythe platonicien de Gygès, avaient cherché à convaincre le lecteur que, pour la liberté et le plaisir de chacun, dussent-ils reposer l'une et l'autre sur quelque équivoque, il valait mieux ne pas savoir le discours des bijoux et le garder secret. Hume avait nettement préconisé un fonctionnement inconscient de la société politique, réservant la conscience de la réalité de ses fondements au petit nombre de penseurs peu enclins à mesurer la réalité des rapports sociaux aux chétives élucubrations de leurs entendements. Il fallait donc un certain courage à Bentham, pourtant aussi anti-contractualiste que Hume, pour tenter de relever le défi de la transparence, pour revendiquer celle-ci, au nom du principe d'utilité, en la procéduralisant.
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Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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