C'est la guerre
François-David Sebbah
Lévinas a beaucoup écrit sur la paix et, sur la fin de son itinéraire surtout, sur l'amour du prochain - par où, selon lui, s'inaugure tout sens. Mais l'épreuve de l'Infini, comme épreuve du visage d'autrui, dont la philosophie lévinassienne témoigne, l'appel à l'amour que non sans crânerie - la crânerie de flirter avec la niaiserie - la philosophie lévinassienne profère, suppose une implacable lucidité ontologique, qui, elle-même, implique, chez Levinas, une évaluation radicalement pessimiste de l'être, de l'être comme tel et de tous les êtres1.
Lévinas ne dit bien sûr pas simplement que l'homme peut être violent ; pas même qu'il l'est par nature. Il ne se contente pas de remarquer que le vivant est en lutte ( plutôt que telle autre région de l'être ) : il ne fait pas du darwinisme à la petite semaine, du « sous-darwinisme » désignant la loi du plus fort ou du plus adapté2. Lévinas dit que l'être est violent ; plus, que l'être est violence et n'est que violence.
(...)
(1) Si l'on accepte de recevoir les catégories du pessimisme et de l'optimisme pour évaluer une philosophie - ce que ne fait guère Lévinas lui-même qui veut s'attacher à un niveau de radicalité qui perce plus profond que le questionnement sur « le sens de la vie ». Cf . De l'existence à l'existant , Paris, Vrin, 1947, 1981, p. 30.
(2) Ibid. , p. 29. Lévinas évoque dans cette page le fait qu'avec « le développement des sciences biologiques du XIX e siècle » la vie «(...) apparaît comme le prototype de la relation entre existant et existence », mais il précise immédiatement que «(...) la lutte pour l'existence ne permet pas de saisir la relation de l'existant avec son existence à la profondeur qui nous intéresse ». Il faut saisir cet événement en-deçà du niveau où il apparaît comme « la lutte de l'être déjà existant » - nous soulignons - ; comme « le souci que l'être prend de sa durée et de sa conservation ».
Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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