Savoir
et croyances : l’éthique contemporaine
dans les pratiques de légitimation
Gilbert Larochelle et Jésus Jimenez Orte
Le problème de la légitimité rappelle le débat
qui, dans les dialogues de Platon, sépare l'impertinence de Socrate
et la prétention des sophistes. L'expérience de la vertu
peut-elle se faire sans le développement d'un savoir sur elle ?
La position de Socrate, on le sait, consiste à établir un
lien de nécessité entre le savoir et la pratique tout en
fustigeant, par une même assimilation, l'ignorance et le vice. Dans
Protagoras, il interpelle son interlocuteur en ces termes: «Est-ce
qu'un homme qui commet l'injustice est sage, à ton avis, de commettre
l'injustice?» (Platon, Protagoras, 333 c. Il faut
préciser que, pour Socrate, le vice est attribuable à l'ignorance,
alors que le savoir constitue, selon lui, une garantie pour atteindre
la vertu.) Par sagesse, Socrate entend «bien délibérer»,
c'est-à-dire user de sa raison pour discerner le bien en toutes
choses et, par là même, atteindre la vertu. Protagoras, cinglant,
ne cesse de lui rétorquer ça et là: «Socrate,
tu fais le difficile, c'est que la moralité est enseignée
par tout le monde, par chacun dans la mesure où il est capable,
et tu n'en aperçois aucun maître! C'est comme si, par exemple,
tu cherchais quelqu'un pour nous apprendre à parler grec, tu n'en
verrais aucun maître!» (Platon, Protagoras, 327 e;
328 a). Or, si la légitimité présuppose la moralité,
faut-il en conclure que nulle pédagogie ne saurait la transmettre,
encore moins permettre que l'on puisse inculquer à qui que ce soit
la compétence de ses valeurs? Protagoras renchérit à
l'encontre du privilège de la philosophie: «Cette chose qu'est
la moralité, il ne doit pas y avoir aucun spécialiste, si
l'on veut qu'il existe une Cité» (Platon, Protagoras,
326 e; 327 a).
(...)
Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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