Soi-même
et un autre :
l'identité paradoxale du greffé
Michèle Fellous
L’écoute des personnes ayant traversé l’épreuve
du dépérissement d’un de leurs organes vitaux puis
d’une renaissance à travers l’organe d’un autre,
suscite un questionnement quant à notre conception convenue de
l’identité et des repères qui la fondent.
En effet, le greffé vit une expérience extrême, en
rupture avec des évidences sur lesquelles est ancré notre
monde commun : l’unicité d’un sujet incarné
dans un corps singulier, parcourant une temporalité orientée
de la naissance à la mort. Le greffé doit survivre en résolvant
une série de dilemmes qui sont des défis à la logique
courante des sociétés occidentales développées
: être un et multiple en même temps, porter en soi un mort
vivant, devoir la vie à la mort concrète et immédiate
d’un autre, revenir d’une mort prochaine annoncée.
Ces défis exacerbent les questionnements philosophiques sur l’identité
: la relation de l’identité biologique à l’identité
subjective, la relation du sujet à son corps, le statut ontologique
et juridique du corps humain dans nos sociétés.
(...)
(*) Ces réflexions proviennent d’une centaine d’entretiens
menés avec des personnes greffées du foie (à l’hôpital
Cochin, dans le service de chirurgie hépatique, consultation du
Professeur Soubrane), de personnes greffées du rein et rein-pancréas
(à l’hôpital Pitié-Salpétrière,
dans le service d’urologie, consultation du Docteur Barrou), de
personnes greffées du cœur et cœur-poumon (service de
chirurgie thoracique et cardiovasculaire du Professeur Gandjbakhch, à
l’hôpital de jour de la Pitié-Salpétrière)
; elles s’inscrivent dans le cadre plus large, d’une étude
menée à l’Etablissement Français des Greffes
en 2001-2003. Je remercie particulièrement tous ceux et celles
qui ont bien voulu m’accorder leur témoignage, sans lesquels
ces réflexions n’auraient pu être formulées.
Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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