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Les États-Unis : Hyperpuissance ou Empire ?

Entretien avec Hubert Védrine


YVES-CHARLES ZARKA : Y a-t-il une différence entre les notions d’hyperpuissance et celle d’empire ? Le terme d’empire est-il inadapté pour désigner les États-Unis ?

HUBERT VEDRINE : Selon moi il n’y a pas identité entre hyperpuissance et empire. Hyperpuissance ne veut pas dire omnipotence, ni invulnérabilité, et ne contient pas forcément l’idée d’une tendance hégémonique. Il ne signifie pas : "empire constitué ". Sur certains plans l’hyperpuissance américaine n’est pas l’équivalent de ce qu’a été l’empire romain à son apogée. Sur d'autres, elle est encore plus. Néanmoins le degré de pénétration et d’influence mondiale des États-Unis est impressionnant dans presque tous les domaines. Mais je ne crois pas que le peuple américain soit porteur d’un projet impérial. Ce qui caractérise les américains, c’est l’obsession d’être en sécurité. L’idée de vulnérabilité leur est insupportable. Déjà, à l’époque de la dissuasion nucléaire, ils avaient beaucoup de mal à admettre l’idée de « vulnérabilité mutuelle ». Sans doute vous souvenez-vous qu’à la fin des années 50, quand il a été confirmé que des missiles soviétiques pouvaient atteindre le territoire américain, il y a eu un mouvement d’achats d’abris anti-atomique individuels à mettre dans les jardins ! Les américains soutiendront toujours un président américain qui décidera pour les protéger, quel que soit l’avis des autres pays, de projeter une sorte de GIGN n’importe où dans le monde pour nettoyer un nid de frelons. Cela ne veut pas dire qu’ils auront envie de rester dans ce pays à perpétuité ni d'organiser un empire au sens propre du terme.

YC. Z : Il faut trouver un autre terme pour qualifier le type de domination non colonial qui caractérise les États-Unis.

H. V: Oui, car il ne s’agit pas d’une domination impériale classique.

YC. Z : Que pensez vous de la caractérisation de l’Amérique par Raymond Aron comme « République impériale » ?

H. V: Le mot a fait mouche, la combinaison de République et de tendance impériale est intéressante. Néanmoins Raymond Aron parlait de l’Amérique de la guerre froide face à l’Union Soviétique… Est-ce qu’il faisait allusion à la volonté de l’Amérique d’organiser le camp du monde libre où il y avait un mélange hétéroclite de démocraties et de dictatures qui étaient du bon côté ? Aujourd’hui, je ne suis pas certain que cette formule convienne car empire est un mot trop univoque, un peu décalé pour décrire la réalité actuelle. Autre point discutable dans la formule d’Aron : je ne pense pas qu’on puisse aujourd’hui sans précaution employer le terme de République lorsqu’on se réfère aux Etats-Unis, compte tenu du taux d’abstention, des particularités du système de vote américain qu’on a pu redécouvrir au moment de l’élection de G.Bush. En tout cas, il y a un véritable décalage avec l'acception française du terme…

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Nb : la totalité de cet entretien est disponible dans la version papier de Cités.