Introduction
Emmanuel Picavet
Les sciences économiques occupent un statut
particulier au sein des savoirs sociaux, moraux et politiques. Par leurs
objets traditionnels - les échanges, la production, la consommation,
la monnaie - elles entrent en contact avec les autres sciences sociales
et avec les interrogations sur l’action collective et la politique.
Mais tout se passe comme si leur méthodologie conduisait à
un certain isolement, à cause de certaines hypothèses (la
rareté, la concurrence, la confrontation d’une offre et d’une
demande...), de certains choix théoriques typiques (la représentation
optimisatrice des choix individuels, l’étude des formes de
la vie sociale en termes d’équilibre, l’indifférence
au contenu des préférences individuelles...), voire de certains
choix de style scientifique (la mathématisation poussée,
la préférence pour les solutions analytiques et les constructions
déductives, la méfiance envers l’empirisme inductiviste,
la circonspection dans le recours à l’expérimentation...).
Les sciences économiques sont tout à la fois une partie
des sciences sociales, et le développement d’une certaine
approche du social. Ces spécificités - et d’autres
encore - donnent lieu à de nombreuses critiques, et l’on
peut dire qu’aujourd’hui, le discours des économistes
se heurte souvent à l’incompréhension. Pour autant,
la contribution des sciences économiques est absolument décisive
pour éclairer certaines des questions morales, politiques et sociales
les plus fondamentales de ce temps. Allons plus loin : l’oubli des
dimensions économiques de l’action et de la vie sociale est
la cause de formes importantes et nombreuses d’obscurantisme dans
les prises de position éthiques et politiques. De plus, les outils
des sciences économiques communiquent aujourd’hui avec ceux
d’autres domaines. Par exemple, il n’est pas exagéré
de dire que la théorie moderne des choix collectifs subsume des
problèmes économiques et politiques fondamentaux. En invitant
quelques spécialistes de l’économie ou de la philosophie
de l’économie à réfléchir sur certaines
des tendances actuelles des sciences économiques, nous avons voulu
contribuer au débat sur le statut et la portée de cette
discipline, d’une manière qui conduise à faire justice
à ses liens avec d’autres champs de recherche.
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