Présentation
Robert Damien et Frank Lessay
On peut en être surpris et s'interroger. Le vocabulaire de la résistance
envahit le discours du combat politique contre la mondialisation économique:
pirate, clandestin, dissident, sabotage, pseudonymes, guérilla,
bombe informatique, attentat, terroriste, hacker, virus etc. Pourquoi
aujourd'hui cet usage dans un contexte démocratique? Contre quelle
domination impériale? Quelle force totalitaire? Abus de terme ou
hommage légitime?
La résistance requiert toujours la célébration d'un
honneur. Un seul (une exception) reste droit, maintient sa dignité
contre toutes les bonnes raisons de s'abandonner. Celui-là, et
il n'en resta qu'un, fait subsister l'essentiel. Il rompt le pacte silencieux
des accommodements en récusant le consensus sourd des abaissements
partagés. Le résistant fait front, il se soulève
et appelle à la lutte clandestine pour espérer la conjugaison
des fraternités retrouvées. La résistance est toujours
un foyer qui rayonne et diffuse en même temps qu'il réchauffe
et protège contre des forces surpuissantes qui détruisent
toutes les protections, toutes les identités, toutes les acquisitions.
La résistance est donc toujours seconde. Action d'opposition, elle
est toujours précédée d'une force qui s'est posée,
imposée. Elle succède tardivement à une défaite,
un premier abandon, une initiale débandade qui laisse désarmée
et oblige à une résistance les mains nues, sans armes autres
que celles du sacrifice. Volontairement ou non, la résistance succède
à un aveuglement qui a laissé passer, laisser faire un premier
envahissement, une première fissure des digues protectrices que
sont par exemple les mécanismes de l'Etat et de la souveraineté,
les procédures républicaines des institutions légitimes.
On découvre bien tard que l'envahissement tourne à l'inondation
et que les ressources d'une alternative organisée ont été
dévastées. Il y a du désespéré dans
l'acte de résistance. Peut on encore s'arc-bouter et sur quelles
lignes de défense, avec quels instruments politiques, quels outils
conceptuels afin de construire une alternative crédible porteuse
de promotion et de richesse, réalisant les promesses d'une société
plus fraternelle?
L'interrogation dès lors redouble car ce discours de la résistance
est accompagné d'un appel constant à la société
civile contre l'Etat toujours Providence et comme tel condamné?
Nouveau flatus vocis médiatique qui a succédé au
discours sur les exclus, au défunt tiers monde?
Dans les sociétés à contexte démocratique
comme celles des pays industrialisés peut on légitimement
parler de résistance ou n'est ce pas déjà un aveu
d'échec, un autre piège de l'action politique suscité
par ceux là même qui la provoquent? Comment justifier des
actions illégales voire terroristes d'atteinte aux droits publics
et privés voire d'atteinte à la sûreté de l'Etat?
Quels sont les arguments qui attestent de la délligitimation radicale
de la démocratie occidentale et contraignent à des actions
de résistances? Main mise totale des puissances économiques
sur les processus politiques d'élection, sur les mécanismes
de décision, sur les instruments d'information, sur les moyens
d'expression? Absence complète du pouvoir de contrôle des
citoyens sur les choix déterminants, uniformisation réductrice
des propositions économiques, manipulation des perceptions collectives,
stérilisation des offres politiques alternatives? Le cercle omnipotent
des majorités, pour parler comme Tocqueville, entretient un conformisme
pratique et discursif qui rendraient impossibles et inopérantes
toute initiative, toute différenciation, toute proposition. Comment
briser ce cercle vicieux de la domination sinon par des interventions
et des contestations hors normes et règles politiques? N'est ce
pas là dessiner un nouvel Empire imposant un nouveau magistère
moral et politique hormis une résistance en attendant une insurrection…
On ajoutera que cette résistance s'inspire moins du combat européen
contre les totalitarismes (Eric Desmonds, Florian Gulli) que de la tradition
américaine de la désobéissance civile au nom de la
liberté individuelle (Sandra Laugier). Cette tradition décisive
trouve d'ailleurs avec les nouvelles techniques de l'information et de
la communication de nouveaux instruments et de nouveaux terrains radicaux
(Julien Pasteur). En appelant aux ressources de la société
civile, les nouveaux modes d'action sollicitent donc les ressources libérales
des associations, des participations, des clubs et des coordinations.
Toutes ces actions invoquent une volonté d'autonomie. Elles interviennent
en dehors de tout appareil et de toute institution politique au nom d'une
société autorégulée de participation et de
proximité contestant à l'Etat et aux institutions politiques
toute légitimité d'intervention sociale (Roger Sue).
On sait combien la pensée anglo-saxonne de la société
civile est riche et fondatrice (Michael Biziou) mais ce recours fait question.
On ne fera que rappeler avec Hegel et son analyse du système des
besoins dans les Principes de philosophie du droit que la société
civile met en relation les hommes à travers leurs intérêts.
Elle ne peut pas ne pas rencontrer en son sein sa contradiction. Elle
n'est jamais assez riche pour atténuer les effets de la misère
qu'elle secrète ni enrayer la perte du respect de soi et de la
violence qui la constituent.
Peut-on penser la société civile et en déployer le
concept sans rencontrer la nécessité de l'Etat non comme
coercition mais comme constitution de l'unité sociale sous la forme
de la communauté politique? N'est-ce pas à une nouvelle
pensée de l'Etat qu'invite la mondialisation? N'est-ce pas dans
cette tradition que se trouve aussi les sources et les ressources d'un
combat politique renouvelé?
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