Présentation
Jean-Pierre Cléro
Lacan ne tient pas particulièrement à être étiqueté
de «structuraliste»; il aperçoit clairement que ce
genre de baptême journalistique ou plutôt de « poubellicisation
» n’est pas l’essentiel; mais, à tout prendre,
il s’agit par là de se démarquer de la phénoménologie
et de sa prétendue affirmation du sens que je suis comme pensée,
cette catégorisation vaut peut-être mieux qu’une autre.
Contre la phénoménologie, toujours prête à
affirmer une parole au fondement même de la langue, Lacan affirme
que l’essence de la théorie psychanalytique est un discours
sans parole. Les signifiants permettent bien un discours, mais ce discours
n’est pas une parole qui aurait un sens conscient. Fait problème,
chez Lacan, précisément ce qui est pris pour fondement dans
la phénoménologie. Comment est-il possible que ce qui n’existe
que dans le passage d’un signifiant à un autre se prenne
pour une conscience de soi? Il y a plus, dans ce texte : si tel marxiste
- on pense évidemment à Althusser - a renié, sous
l’influence de doctrinaires du PCF qui prétendaient savoir
mieux que lui ce qu’il fallait penser de Marx, la lecture structuraliste
qu’il proposait de Marx, Lacan, qui est un homme libre et parle
sans obédience, s’intéresse au moment structural du
Capital lorsque l’auteur fait apparaître, dans le jeu du double
chaînage de la valeur d’échange et de la valeur d’usage,
la nécessité de la plus-value. L’analogie est frappante
entre la production de l’objet a par le fonctionnement du chaînage
structural, rendue invisible par l’expérience de la subjectivité,
et celle de la plus-value : elle conduit Lacan à parler de plus-de-jouir.
Ce texte de 1968 est donc d’une importance décisive pour
mesurer l’accord des recherches de Lacan avec une thèse essentielle
de Marx et pour bien d’autres raisons encore que nous laissons au
lecteur le soin de découvrir.
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