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  Entretien  
 

Nouvelles guerres de religions ?

Entretien avec René Rémond

Propos recueillis par Franck Lessay et Cynthia Fleury


FRANCK LESSAY : Avant même de dialoguer ensemble autour de la thématique des nouvelles guerres de religion, il nous apparaît important de nous attarder sur la notion même de « guerre de religion », de nous interroger sur son degré de pertinence dans le monde contemporain et sur l’évolution qu’elle peut avoir subie historiquement. Comment les guerres de religion de l’ère contemporaine se distinguent-elles de celles d’autrefois ?

RENE REMOND : Il est vrai qu’on a été amené, dans une typologie des conflits, à constituer une catégorie spéciale dite « guerres de religion », ce qui, à la réflexion, apparaît déconcertant. Comment la croyance religieuse peut-elle être source de conflits alors que plusieurs de ces religions proposent un idéal de paix, surtout les religions universalistes ? C’est compréhensible lorsqu’il s’agit de religions de la cité ou de la tribu puisqu’il y a alors identification entre la croyance religieuse et une entité particulière : la religion épouse un point de vue exclusif et le légitime. Quand Athènes lutte contre Sparte, Athéna est « mobilisée » contre Sparte. Ce n’est pas à proprement parler une guerre de religion mais la religion y participe. L’expression « guerre de religion » implique que la guerre se fasse pour la religion, que la religion soit au principe du conflit. De fait, l’expérience historique montre bien que certaines guerres ont trouvé leur cause principale, sinon unique, et leur justification aux yeux des belligérants, dans la référence à une religion. On pense aux guerres qui ont déchiré l’Europe chrétienne au XVIe siècle, opposant la catholicité romaine aux pays de la Réforme, et tout particulièrement à la France : tout un chapitre de notre histoire est consacré à ces guerres de religion. On les décompte comme les Croisades. D’ailleurs la question se pose de savoir si les Croisades sont des guerres de religion : l’invention d’une autre expression prouve-t-elle que ces guerres renvoient à des concepts différents, concernent des objets différents, ou font-elles partie d’un genre commun ? Entre 1562 et 1598, entre la première guerre de religion et l’Edit de Nantes, huit guerres se sont succédé, opposant catholiques et protestants, déchirant les familles princières et la noblesse. Ces guerres du XVIe siècle ne sont, d’ailleurs, pas tout à fait éteintes. En Irlande du Nord, la ligne de partage sépare toujours catholiques et protestants. Reste à se demander dans quelle mesure la référence religieuse est encore la cause première du conflit. On peut en douter. Elle reste une référence mais elle n’oppose plus Eglise à Eglise, puisque, notamment du côté catholique, l’Eglise a excommunié l’IRA à cause du recours à la violence. On est loin d’une légitimation religieuse. Pourtant, aujourd’hui encore, la référence aux guerres du XVIe siècle n’est pas qu’un souvenir historique : quand les journalistes en rendent compte, ils parlent des catholiques et des protestants. On le voit bien, d’ailleurs, par l’entretien de la mémoire puisque les affrontements se produisent à l’occasion de ces célébrations et commémorations historiques : par exemple, le désir des protestants de commémorer la bataille de la Boyne met régulièrement le feu aux poudres. Ces événements, vieux de trois siècles et plus, ne sont pas totalement révolus. Aujourd’hui, où que l’on porte le regard, la dimension religieuse n’est pas absente : c’est le cas de la Yougoslavie, ou encore à l’intérieur même de l’Islam. Nous reviendrons peut-être sur l’opposition Islam/Occident qui confond Occident et chrétienté, mais il y a aussi des guerres à l’intérieur de l’Islam, comme celle qui a opposé pendant six ou sept ans l’Irak à l’Iran. Ces guerres comportaient une dimension religieuse : elles opposaient les sunnites aux shî’ites. C’était bien une guerre de religion, à l’intérieur de la même confession, comme, après tout, entre protestants et catholiques à l’intérieur du christianisme.

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Nb : la totalité de cet entretien est disponible dans la version papier de Cités.