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Le projet de constitution européenne
et la question du pouvoir constituant


Entretien avec Michel Troper

Propos recueillis par Lucien Jaume


LUCIEN JAUME : Michel Troper, on pourrait dire que l’Europe, si on la considère comme un Etat en voie de constitution, repasse par des processus historiques mais aussi des questions qui sont de type classique, aussi voudrais-je vous interroger sur la question du pouvoir constituant. Je rappelle que la notion de pouvoir constituant a, chez nous, toute une histoire depuis la Révolution française. Dans l’esprit de 1789, mais surtout chez un auteur et un acteur comme Sieyès, c’était le pouvoir pour la Nation de se prescrire des règles pour son avenir, pouvoir souverain, suprême, qui, en cela, ne pouvait être qu’imprescriptible. Comme vous le savez, Sieyès faisait de la distinction, mais aussi de la séparation, entre « pouvoir constituant » et « pouvoirs constitués » une condition absolue de la liberté politique chez les modernes. Du point de vue de Sieyès, il s’agissait par là d’assurer la suprématie de la Constitution sur les lois et les divers textes que pouvaient décider les organes constitués, il s’agissait, finalement, de limiter les pouvoirs selon l’esprit du libéralisme politique. Il a fortement désapprouvé le fait que la même Assemblée, la Constituante de 1789, ait exercé à la fois le pouvoir constituant et le pouvoir législatif. Est-ce que ces idées de 1789 peuvent maintenant concerner la constitution européenne qui est en voie d’élaboration ?

MICHEL TROPER : On peut peut-être faire un bref retour sur les termes de votre question. Pour ce qui concerne le lien entre constitution et Etat, il me semble que vous admettez un peu vite que c’est un Etat européen qui est en voie de formation. C’est l’un des points encore en débat. Sans doute, certains veulent-ils une constitution européenne liée à un Etat européen, mais d’autres imaginent une constitution européenne qui ne serait pas liée à un Etat, une constitution pour une entité d’une autre nature que la nature étatique. De quelle nature ? C’est un problème à considérer ultérieurement. En tout cas, il faut, au moins sur le plan conceptuel, séparer très nettement la constitution et l’Etat, car il n’y a pas que l’Etat qui puisse avoir une constitution. Dans un sens très large, toutes sortes d’organismes ont une constitution : les ordres monastiques avaient une constitution, aujourd’hui encore dans la langue anglaise, on emploie quelquefois ce mot « constitution » pour désigner ce qu’on appelle en français les statuts d’une association et, toujours dans ce sens très large, l’Europe a déjà une constitution, de même que les Nations-Unies ou n’importe quelle organisation internationale. Dans ces conditions, on peut observer que l’usage du mot « constitution », utilisé dans ce contexte plutôt que n’importe quel autre terme, exerce une fonction rhétorique. On veut donner l’impression que ce que l’on est en train d’opérer c’est l’entrée dans un processus irréversible de formation d’un État. Telle est la raison pour laquelle on emploie des mots comme « constitution » ou « convention ». Cela étant dit, conceptuellement, on n’y est pas du tout. Tel serait le premier point de mon observation.

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Nb : la totalité de cet entretien est disponible dans la version papier de Cités.