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  Dossier : Les constitutions possibles de l’Europe
Figures politiques de l’Europe unie
 
 

France d’en bas, Europe d’en haut ?
Les silences menaçants de la politique française


Luc Borot


La récurrence de la méchante expression « France d’en bas » dans les mois ayant suivi les récentes élections françaises s’est accompagnée d’un recours fréquent à l’échappatoire européenne pour excuser par avance le renoncement à des promesses et une prétendue impuissance des gouvernements nationaux à traiter les problèmes de leurs mandants. La cohorte des démagogues communautaristes, chasseurs, partisans des sports régionaux, paysans pollueurs, peuvent s’identifier à la France d’en bas car, quels que soient leurs privilèges réels, voire leur impunité, ils incarneraient la France, qui est en bas parce que l’Europe est en haut, trop haut, trop loin. Le syndrome du village gaulois est proposé à une France massivement urbanisée, invitée à s’identifier aux minorités rurales. En ouvrant la « Convention des jeunes » parallèlement à la Convention sur l’avenir des institutions européennes Valéry Giscard d’Estaing s’est offert des variations sur le thème classique des décennies de paix qui ont suivi grâce à l’Union des siècles de guerres entre les nations européennes ; n’était-il pas en train d’occulter ainsi les enjeux pressants de l’expérience politique et sociale des Européens ? Les positions « européennes » les plus discutées pendant la campagne des élections présidentielles françaises furent celles de Jean-Marie Le Pen : sortie de l’Euro, sortie de l’Europe. On s’est demandé si ces propositions étaient ou non réalisables en droit, mais on sait trop comment les dictatures court-circuitent le droit, et le souvenir de la sortie de la Société des nations des États qui, dans les années 1930, tombèrent dans le fascisme, aurait dû rendre plus humbles et plus inquiets ceux qui écartaient d’un revers de la main ce qu’ils prenaient pour un délire alors qu’il s’agissait d’une menace réelle. Le même candidat présidentiel avait évoqué au soir du 21 avril 2002 la France des mineurs, des paysans et des ouvriers, suscitant les ricanements de chroniqueurs télévisuels critiquant des références à une France qui pour leurs intellects éclairés n’existerait plus, mais inspirant aussi le désastreux syntagme « France d’en bas » à un prétendant aux fonctions de Premier ministre. C’est sur ce terrain du terroir phantasmé que s’est joué le débat du deuxième tour de cette élection, aux dépens de l’enjeu majeur de politique nationale et de géopolitique que représente l’intégration européenne.

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Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version papier de Cités.