La
commande publique : l’oeuvre du troisième type
Entretien avec Caroline Cros
Propos recueillis par Nathalie Leleu
Présentation
Longtemps les œuvres issues de la commande publique furent reléguées
au rayon des commémorations nationales, des aménagements
de ronds-points et des décorations d’édifices publiques,
comme les parfaits poncifs de l’art officiel dans l’espace
public. La vocation civique de la commande a souvent été
mal interprétée, nourrissant nombre de malentendus entre
l’institution, la communauté artistique et le public. En
1985, l’installation Les deux plateaux de Daniel Buren dans la cour
du Conseil d’Etat au Palais Royal fît scandale ; l’art
contemporain radical brisait les portes du sanctuaire patrimonial, et
quelques artistes lui emboîtèrent le pas en apportant avec
eux quelques accents d’indépendance et de contestation. Les
années 80 revisitèrent les lieux de la commande publique
qui, comme le souligne Guy Tortosa , “ loin de se confondre avec
une catégorie artistique, (...) devait être avant tout comprise
comme un dispositif d’ordre à la fois humain, juridique et
budgétaire, mis en place par un Etat mécène à
l’usage des artistes et des collectivités qui souhaitaient
donner le jour à de véritables œuvres d’art,
autrement dit à des réalisations qui ne soient pas des simulacres,
dans des espaces et dans des temps que les conditions habituellement offertes
aux artistes par les galeries, les musées ou les centres d’art
ne permettaient pas. ” Nombre d’artistes ont alors saisi l’occasion
de “ sortir de la boîte blanche ” que constitue l’espace
traditionnel de diffusion de l’art, sans plus que la seule mémoire
de l’Histoire leur en donne l’autorisation. Afin que l’espace
public existe autrement que par l’espace commercial et publicitaire,
les artistes tentent avec les collectivités, leurs représentants
et leurs usagers, de partager une expérience humaine, politique
et pratique par la production d’objets d’art d’un autre
type, aux multiples qualités mais aux nombreux déboires.
Conservateur du patrimoine, Caroline Cros a été chargée
entre 1998 et 2001 du suivi de la commande publique auprès des
régions et des collectivités territoriales à l'Inspection
de la création artistique à la Délégation
aux arts plastiques (DAP), et participa à différents comités
de pilotage (Tramway de Strasbourg, Au fil de l'eau à Amiens, vitraux
de Robert Morris à Maguelone, Wolfang Laib à Marcevol, phases
moderne et contemporaine de l'implantation des sculptures dans le jardin
des Tuileries...). Caroline Cros est aujourd’hui Conservateur au
Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et prépare
avec Laurent Le Bon, Conservateur au MNAM/CCI – Centre Georges Pompidou,
un ouvrage destiné à faire mieux connaître ce patrimoine
mal connu du public.
Entretien
NATHALIE LELEU - Au sein de la commande publique se croisent plusieurs
démarches relevant de champs et de politiques diverses avec au
premier chef l’art, l’architecture et l’urbanisme. Cette
convergence fait-elle de la commande publique un outil de la politique
d’aménagement du territoire?
CAROLINE CROS - Considérée à l’échelle
du territoire national, la commande publique proprement dite ne peut pas
tout assumer. Elle est dotée d’un budget moyen de 20 millions
par an pour 22 régions. En outre, cette politique de commande ne
se situe pas encore à un niveau interministériel. Nulle
aide financière ni logistique ne provient d’un autre ministère
que celui de la Culture, même si une collaboration avec le ministère
de l’Equipement a été initiée au sein de la
Mission pour la qualité des espaces urbains. Une brochure “
mode d’emploi ” incitant les maîtres d’ouvrage
à solliciter les artistes en est le fruit.
La commande publique produit donc des actions ponctuelles ; c’est
d’ailleurs dans cet esprit qu’il convient d’apprécier
son principe et ses résultats. Certains projets très ambitieux
- comme la piste de skateboard commandée à Vito Acconci
en Avignon - n’ont pas abouti en raison de la complexité
des procédures et de la difficulté de coordonner la variété
des interventions, des souhaits et des intérêts mis en jeu.
Plutôt que des échecs, ces programmes non réalisés
sont riches d’enseignement, car ils ont révélé
le caractère particulier dont est empreint la commande : porter
un projet communautaire et partagé.
Agir dans le domaine public, c’est à la fois ouvrir et limiter
le champ des possibilités. C’est prendre en compte un contexte
urbain et architectural, mais aussi socio-économique ; consulter
ses citoyens, ses habitants, ses usagers ; composer avec toutes les contraintes
inhérentes à ces champs : politiques, juridiques, techniques
...
(...)
Nb : la totalité de cet entretien est disponible dans la version
papier de Cités.
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