L’École
saisie par l’utilitarisme
Christian Laval
Il arrive qu'en tentant de désigner certaines mutations sociales,
culturelles, institutionnelles qui affectent nos sociétés,
nous soyons amenés à les qualifier d'utilitaristes, avec
toute la connotation péjorative qu'enferme le terme en France.
Cet usage mérite examen. Il n'est pas ici question de faire ni
la police ni le procès des mots, mais plutôt d'interroger
les sens qu'on attache à l'expression et de se demander s'il ne
serait pas possible d'augmenter la connaissance des phénomènes
par l'analyse des usages d'une telle désignation et des références
plus ou moins savantes qu'elle implique. Il s'agit ici de s'interroger
plus spécialement sur la portée du terme d'école
utilitariste.
La réflexion sur les interprétations utilitaristes de l'éducation
n'est pas nouvelle. Durkheim en témoigne quand il conteste dans
ses écrits pédagogiques la définition de James Mill
selon lequel l'éducation est faite pour "faire de l'individu
un instrument de bonheur pour lui-même et pour ses semblables"
. Mais ne faudrait-il pas remonter jusqu'à Rousseau qui fait du
principe d'utilité la maxime qui doit orienter le développement
moral et intellectuel d'Émile ? Mais quel rapport entre cette éducation
imaginaire, ou cet imaginaire éducatif, et le déploiement
des évidences dont nous abreuvent tous les jours, jusqu'à
l'écoeurement, les administrateurs et les technocrates de l'Éducation
nationale quant aux finalités professionnelles et économiques
d'un enseignement confiné dans les limites de la formation d'un
"capital humain", évidences qui sont pour beaucoup l'expression
de l'utilitarisme le plus borné? Y a-t-il un fil entre le modèle
du préceptorat qui est encore celui de Rousseau et celui de l'actuelle
fusion et confusion de l'école et de l'entreprise, à plus
de deux siècles de distance ? Existe-t-il une façon de penser
et des tentatives de faire qui parcourent, parfois dans l'ombre, toute
l'histoire de la scolarisation et qui témoigneraient d'une insistance
utilitariste propre aux sociétés modernes ?
(...)
Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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