Introduction
Isabelle Laudier
Dans le dossier du numéro précédent de Cités,
sur le thème « Le travail sans fin ? Réalités
du travail et transformations sociales », était interrogée
la place du travail au sein de nos sociétés contemporaines,
et au-delà, dans un contexte de profondes mutations techniques,
réglementaires et organisationnelles de celui-ci, sa finalité.
Au travers de contributions variées abordant divers aspects de
la réalité du travail aujourd’hui, ressortait de façon
convergente la permanence d’un investissement humain au travail,
outre les difficultés et les contradictions qu’il ;peut induire,
outre également les nouvelles formes que cet investissement peut
prendre. Les politiques publiques elles-mêmes, en réorganisant
le temps de travail dans le sens de sa réduction, si elles libèrent
un temps nouveau pour les individus, passent par le travail pour organiser
des changements aux conséquences sociales plus larges. La centralité
du travail, au sens de référent social encore actif, est
donc toujours à explorer.
Ce constat nous conduit à un approfondissement, car parler de centralité
du travail comporte de multiples dimensions : économiques, sociales,
politiques. Cette remarque n’est pas sans importance, car les évolutions
économiques en cours de ces deux dernières décennies,
en modifiant profondément les modalités de régulation
du monde du travail, ont pu précisément affecter le contenu,
ou la nature, de cette centralité. En effet, si historiquement
– au sein de notre époque contemporaine – la lutte
pour l’amélioration des conditions de travail s’est
inscrite dans les mouvements de lutte pour l’égalité,
pour une plus grande reconnaissance politique, bref d’approfondissement
de la citoyenneté, on peut avancer l’hypothèse aujourd’hui
d’un relâchement entre ces combats. L’intrication du
travail et du politique peut sembler, sous la pression des évolutions
qui caractérisent l’économie actuelle (concurrence,
individualisation, flexibilité, précarité), se dénouer
au profit d’un objectif d’emploi « à tout prix
», important, mais dont l’analyse nous dévoile des
limites.
D’où la question posée dans ce débat du lien
entre Travail et Citoyenneté, en d’autres termes : qu’en
est-il aujourd’hui de l’accès à l’emploi,
des conditions de travail et, de là, des possibilités d’expression
démocratiques, ou encore de la citoyenneté ? Quatre contributions
sont ici réunies, sans prétention à l’exhaustivité,
mais avec la simple ambition de susciter le débat en commençant
dans le premier texte par un passage rétrospectif sur la Grèce
ancienne, exemple polaire inverse du cas contemporain, mais où
travail et citoyenneté n’apparaissent finalement pas si éloignés.
La deuxième intervention pose la question des conséquences
sociales et politiques du glissement sémantique, observé
dans le discours public, du travail vers l’emploi. La troisième
contribution décrit les mécanismes de la construction de
la catégorie des chômeurs, qui devient cruciale, tant dans
la définition des politiques publiques, du concept d’emploi,
que dans le positionnement des « sans travail » au sein de
la société. Enfin, le quatrième texte nous livre
un regard critique sur le discours de l’entreprise citoyenne où,
par l’intégration des catégories du politique dans
le champ économique, est profondément remise en cause la
citoyenneté dans sa dimension politique.
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