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  Dossier : L’avenir politique du féminisme
Le cas français
 
 

Féminisme, deux ou trois choses sur l’avenir…

Gisèle Halimi


Le terme “féminisme” n'a pas vraiment changé de sens depuis les années soixante-dix, en revanche, il y a une évolution du féminisme.
Du point de vue sémantique, les choses n'ont pas vraiment changé. On sait que le terme de féminisme est un néologisme qui date de 1860 et à l'époque ce néologisme avait une connotation inquiétante, à la croisée du médical et du politique : la féministe n'est pas faite biologiquement de la même manière, elle ne fait pas de la politique comme les autres. Depuis toujours ce terme couvre péjorativement une attitude peu convenable, indécente, à la limite vulgaire. Signe distinctif, la féministe est agressive. La connotation sexuelle est défavorable, la féministe est mal baisée, le féminisme est une compensation et non pas un choix de libération, une revendication de droit ou de liberté, c'est un comportement dans lequel on s'enferme par défaut. Ceci reste encore vrai, en dépit d'une mixité beaucoup plus fréquente dans les associations. L'attitude machiste n'a pas vraiment cédé, elle s'est habillée autrement. Ce qui ne veut pas dire que les esprits soient forcément asservis au système patriarcal et au machisme, ils sont habitués et, comme le dit Péguy, « il y a pire que les âmes asservies, il y a les âmes habituées ». Le machisme a gagné en invisibilité mais n'a pas disparu.
Quand on choisit de mettre à la tribune une femme, entre plusieurs hommes et malgré les progrès accomplis, on le fait “pour féminiser”, rarement pour sa compétence. Le machisme relève aujourd'hui davantage de la tradition, de l'inconscient. Et puis les hommes veulent garder leurs privilèges, c'est compréhensible sinon très juste. La preuve nous en sera administrée je crois lors des élections législatives.
La résistance à la féminisation du langage — titres, fonctions — est, à ce titre édifiante. C'est que cette féminisation est très importante, elle n'est pas une revendication accessoire, une nouvelle manie. Ses adversaires masculins prétendent qu'elle ne change rien mais mènent une bataille rangée contre elle. On devrait analyser cette attitude au plan psychanalytique. Elle n'est pas innocente. Elle résulte d'un sentiment de dépossession.
En revanche, sur le fond et le contenu du féminisme, il y a une évolution certaine. Il faut comprendre que dans les années phares du féminisme, les années soixante soixante-dix, le féminisme était pour les femmes une revendication de survie. On avait la tête sous l'eau, il fallait pouvoir respirer : c'était la contraception, l'avortement, lutter contre le viol, ne pas être dans une position d'aliénation telle qu'on finissait par penser en esclave. On ne s'appartenait pas. L'expression dans le langage courant : « je ne m'appartiens plus », est très bonne pour ce qui concerne la femme de cette époque. On ne demandait donc que des réformes.
Ma génération a vécu le drame de l'avortement clandestin : l'absence de moyens pour l'assumer, la peur des tribunaux, le risque de septicémie, de stérilité, de mort. Et par-dessus tout, la culpabilisation tous azimuts.
Notre combat a donc été un combat d'urgence, dont le corps était l'objet, au sens large du mot. C'est le sens de la revendication : « mon corps m'appartient ».

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Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version papier de Cités.