Où
en est le féminisme aujourd’hui ?
Françoise Gaspard
Qui aurait pu imaginer, il y a dix ans à peine, que le quotidien
Le Monde titre un article “ La garde des Sceaux… ”,
que la presse parlant d’une femme ministre dise désormais
“ la ministre ”, que dans le Journal officiel le nom des femmes
auxquelles la légion d’honneur est attribuée (aujourd’hui
un peu plus nombreuses que par le passé) soit suivi de leurs titres
au féminin (rectrice, professeure, administratrice civile, sous-préfète…)
? En 1977 encore, le garde des Sceaux d’alors, Jacques Toubon, s’opposait
avec emphase à une modification, pourtant bien anodine, du code
pénal. Elle consistait à remplacer, dans le serment que
le juge demande au témoin de prêter devant la Cour d’assises,
“ homme probe et libre ” par “ homme ou femme ”.
La formule en vigueur datait du temps où les femmes étaient
exclues des prétoires, était-il normal de toujours demander
à une femme de se dire un “ homme probe et libre ”
? Le ministre de la Justice s’était emporté dans l’hémicycle
du Sénat. Le mot “ homme ” devait continuer d’englober
les femmes. Parler de “ personne ”, compromis proposé
par des parlementaires c’était, avançait alors le
ministre, “ du canadien, du québécois, du langage
des Nations unies, du politiquement correct… pas du français
”. Que le français de France, n’en déplaise
à l’Académie française et à quelques
nostalgiques d’un universalisme linguistique qui neutralise le genre
humain, rejoigne le français de Suisse, de Belgique ou du Québec
où, depuis les années soixante-dix, les pouvoirs publics
et la population acceptent comme allant de soi la féminisation
des titres et fonctions, est-ce une victoire du féminisme ? D’une
certaine manière. Et qui s’est faite sans beaucoup de bruit.
Petite victoire ? Les inégalités de salaires et de carrières,
ou encore les violences, sont plus essentielles, certes. Pourtant la lutte
contre les discriminations dont les femmes sont victimes suppose aussi
des transformations symboliques. Celle de la langue en est une. Le féminin
s’est tout simplement imposé, comme un fait social. Les femmes,
de plus en plus nombreuses dans la vie professionnelle - même si
elles demeurent rares dans les fonctions de décision - sortent
grâce à cela de l’invisibilité dans laquelle
le système masculiniste les enfermait.
Ce qui s’est joué depuis le début des années
quatre-vingt-dix, alors que l’on disait le féminisme épuisé
et hors de saison, c’est en fait l’émergence de nouvelles
formes de féminisme. Elles nous obligent à repenser les
féminismes en tant que mouvements sociaux et à en dessiner
les faiblesses mais aussi les nouveaux horizons dans l’espace national
et international.
(...)
Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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