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  Dossier : L’avenir politique du féminisme
Le cas français
 
 

Droit et discrimination sexuelle au travail

entretien de Christine Coste avec Michel Miné


Présentation

Les inégalités professionnelles entre hommes et femmes se réduisent globalement peu, voire pas du tout, comme le constatent une multitude d'études et de rapports. La principale source souvent incriminée ? La contrainte du temps qui rend les femmes moins disponibles, entrave leur possibilité de formation et freine voire interdit leur promotion. Le temps de travail est de fait le terrain qui révèle le plus les inégalités professionnelles entre hommes et femmes. Toutes modifications d'horaires importantes entraînent bien souvent des conséquences dans leur vie professionnelle et leur vie privée. Entre les lois Aubry sur l'aménagement du temps de travail et les accords négociés sur le temps de travail, aucune réflexion, aucun texte signé n'a pourtant pris en compte la situation des femmes et les conséquences de telles mesures sur ces deux tranches de vies indissociables.
Vouloir " donner aux femmes tous les moyens d'exercer un libre choix, choix de travailler, choix du métier, choix de l'engagement politique ou syndical "*, suppose plus que jamais de confronter le discours politique avec ses actes sur le terrain pour combattre réellement ces inégalités. À ce titre, l'utilisation du droit est révélatrice du fossé existant et persistant. Le juge européen a en effet développé tout un arsenal de ressources juridiques permettant de combattre la discrimination sexuelle en matière de temps de travail que jusqu'à présent, le droit français du travail n'a guère incorporé dans ses textes comme le révèle dans cet entretien Michel Miné, professeur-associé en droit privé à l'Université de Cergy-Pontoise, docteur en droit privé et sciences criminelles, ancien inspecteur du travail. "Avec la sous-utilisation du droit européen, c'est toute la question du recours au droit en matière de discrimination sexuelle qui est posée", souligne-t-il. " Droit qui se révèle pourtant performant quand il est mobilisé ". Aux acteurs de la vie sociale, politique, syndical (salariés ou employeur), associatif ou administratif, d'en prendre donc pleinement conscience.

CHRISTINE COSTE : Rappel historique - La genèse du droit du travail est marquée par la perception des femmes comme des êtres mineurs et non comme des êtres à égalité des hommes, comme eux titulaires de droits leur permettant d'agir et de se défendre.

MICHEL MINÉ : En France, le droit du travail est né à la fois d'une logique tendant à isoler le travailleur en rendant le groupement ouvrier illégal et, plus tard, d'une logique visant à le "protéger" d'une surexploitation au travail. Deux naissances à l'origine de cette ambivalence qui le caractérise encore aujourd'hui. D'un côté, le droit du travail conforte le pouvoir de l'employeur. Il le légitime. De l'autre, il le limite en apportant des garanties, plus ou moins importantes aux travailleurs (terme employé en droit social européen). Ainsi, il assure une certaine égalité dans la concurrence entre les entreprises et organise le marché du travail.
La naissance d'un droit du travail " répressif " remonte à la loi Le Chapelier de 1791 interdisant les groupements ouvriers (loi qui ne fut que la traduction dans les relations de travail de la conception libérale et individualiste qui prédominait à ce moment-là dans la Révolution française). Ce n'est qu'en 1884, que le fait syndical dans la République sera enfin reconnu légalement : des bourses de travail se créent alors et les premières négociations collectives licites apparaissent. Entre temps, d'autres lois contribueront à édifier le droit du travail. Se sera en particulier la loi de 1841 (marquant la naissance d'un droit du travail " protecteur ", limitant le travail des enfants) puis la loi de 1874 (prohibant le travail des femmes dans les mines). En 1892, la loi sur l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie répondra à la même logique : l'enfant et la femme sont deux personnes juridiquement mineures, vulnérables ; elles doivent donc être protégées.

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Nb : la totalité de cet entretien est disponible dans la version papier de Cités.