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  Editorial  
 

Que s’est-il passé le 11 septembre 2001 ?

Yves Charles Zarka


Au moment où j’écris ces lignes, l’offensive américano-britannique contre le régime des talibans et l’organisation d’Oussama Ben Laden a commencé avec le bombardement d’installations militaires à Kaboul et dans plusieurs autres villes d’Afghanistan. Cette réaction militaire était prévisible et attendue après les terribles attentats et les milliers de morts du 11 septembre à New York et Washington.
La première guerre du XXIe siècle a commencé, alors même que la plupart des experts en stratégie, des spécialistes du droit international, pour ne rien dire des commentateurs professionnels, pensaient que, avec l’effondrement de l’Union soviétique et le maintien des États-Unis comme seule superpuissance mondiale, les conflits n’auraient plus qu’une existence locale ou régionale et que la communauté des États s’acheminerait vers l’établissement d’un ordre juridique international sous l’égide de l’ONU.
Ce qui s’est passé le 11 septembre 2001, c’est l’effondrement de trois fictions. La première fiction est celle qui consistait à penser que le temps des guerres de grande ampleur engageant plusieurs puissances était dépassé. La deuxième fiction est celle de la guerre propre ou guerre sans morts. La troisième fiction est la croyance que la victoire du libéralisme économique signifiait la fin de l’histoire.
Après la fin de l’histoire, il y a évidemment encore de l’histoire qui se joue comme avant, comme toujours, tragiquement, dans la guerre et le sang. L’histoire a fait pour ainsi dire irruption en produisant l’explosion de l’univers virtuel des guerres fictives, des guerres des étoiles, pas seulement celles des écrans d’ordinateur, de télévision ou de cinéma, mais également celles des responsables politiques et militaires.
Étrange époque que celle où l’hypersophistication des armes a fait oublier que c’est moins la nature de l’instrument que la volonté de celui qui le détient qui fait qu’une arme est une arme. Un simple cutter peut être une arme non pas seulement dans une agression privée mais aussi dans un conflit international.
Étrange époque que celle où le développement des techniques de communication permet un strict contrôle des comportements individuels, mais où l’on oublie que trop de contrôle tue le contrôle, comme trop d’information tue l’information.
Le 11 septembre 2001 a fait sortir le monde occidental de son sommeil virtuel, où il a oublié à quel point la volonté et la mythologie mènent le monde, plus peut-être que les processus socio-économiques.
On se trompe en effet du tout au tout lorsqu’on imagine que le terrorisme islamiste qui s’attaque radicalement aux valeurs de l’Occident (la recherche du bien-être, la démocratie, l’émancipation des femmes, la liberté, les droits de l’homme, etc.) n’est que l’expression de la cassure entre le Nord et le Sud, entre les pays riches et les pays pauvres, entre les exploiteurs et les exploités, entre les dominateurs et les dominés. Bien entendu, cette cassure, cette exploitation et cette domination existent, mais elles ne sauraient en aucune manière suffire à expliquer la guerre sainte lancée par l’islamisme contre un Occident dit satanique, infidèle et corrompu. Le principe de l’affrontement est ailleurs. Il ne repose pas sur la revendication d’une amélioration économique d’une partie du monde, il ne repose pas non plus sur une revendication de liberté ou de souveraineté. Il s’appuie en revanche sur des mythes : celui de la terre d’islam de laquelle il faut chasser tous les infidèles (juifs et chrétiens, c’est évidemment à cette source que s’alimente le rejet de l’existence d’Israël ), celui de l’unité de la nation islamique, celui de la guerre sainte comme instrument de victoire non seulement militaire mais aussi morale contre un Occident qu’il faut humilier, celui de la régénération religieuse de l’islam visant à lui rendre sa grandeur des origines.
Ce sont ces mythes, et d’autres encore, qui forgent les volontés les plus déterminées et les plus aveugles et portent certains à croire que la mort, celle que l’on donne à autrui ou que l’on se donne à soi-même, conduit au paradis et à la félicité.
C’est cette logique mythologique qui est la plus redoutable, c’est également elle qu’il faut combattre. Il serait en effet illusoire de croire que la guerre contre le terrorisme islamiste se gagne uniquement sur le plan militaire. Le monde a besoin de rééquilibrages économiques, d’une remise en cause des nouvelles formes d’exploitation, mais aussi et surtout d’une éducation des peuples à la raison, à la tolérance, à la liberté et à la connaissance de l’histoire. Celle-ci devrait constituer l’un des premiers objectifs d’une Organisation des Nations Unies digne de ce nom. C’est par là que le terrorisme et la haine qui le supporte peuvent être extirpés.