Qu’est-ce
que l’éthique ?
Entretien avec Pierre Hadot
Propos recueillis par Robert Damien
CITES : Pierre Hadot, vous êtes un grand spécialiste
de la philosophie antique. Vous êtes, entre autres, auteur de Qu’est-ce
que la philosophie antique et vous venez de publier une édition
du Manuel d’Épictète. Mais vous avez aussi écrit,
par exemple, sur Montaigne, Kierkegaard, Thoreau, Foucault, Wittgenstein.
Pourrait-on dire que votre intérêt pour des penseurs aussi
divers est d’ordre éthique? Et en quel sens d’«
éthique » ?
PIERRE HADOT : Quand j’entends le mot « éthique »,
je suis un peu perplexe, en ce sens que le mot « éthique
» implique une appréciation concernant le bien et le mal
des actions, ou alors des gens, ou des choses. Mon intérêt
pour tous ces auteurs n’est peut-être pas vraiment éthique.
Je dirais plutôt qu'il s'agit d'un intérêt existentiel.
Chez Wittgenstein par exemple, ce qui m’a intéressé,
étant donné la mentalité avec laquelle je le lisais
en 1959, c’était avant tout le mystique, ou plutôt,
selon moi, le positivisme mystique. C’était presque une contradiction
dans les termes : pourquoi Wittgenstein avait-il osé parler de
mystique? La fin du Tractatus était pour moi particulièrement
frappante chez Wittgenstein. Il s’agit, selon mon interprétation,
que je ne crois pas être trop fausse, d’une « sagesse
silencieuse ». C'était aussi une formule que j'avais lue
dans le livre de Mme Anscombe, laquelle disait à propos de Wittgenstein
que ce qui était le plus important pour lui, c'était l'émerveillement
devant le monde. Tout ça n'est pas tellement « éthique
».
D'une manière générale, je ne suis pas très
moralisant, et je crains que le mot « éthique » ne
soit trop restreint, à moins qu'on ne l'entende au sens de l'éthique
de Spinoza. Après tout, Spinoza intitulait Éthique un livre
de métaphysique. Il faudrait donc plutôt prendre le mot «
éthique » au sens très large.
(...)
Nb : la totalité de cet entretien est disponible dans la version
papier de Cités.
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