Pourquoi
des théories morales ?
L’ordinaire contre la norme
Sandra Laugier
À force de proclamer ou de réclamer à grands cris
un retour de la morale après le fameux “déclin”
des années 70, où l’on aurait oublié l’éthique
au profit du politique, les philosophes de la morale se retrouvent, maintenant,
dans une curieuse situation : ils déplorent l’invasion du
terme “éthique” dans le langage commun, et un usage
galvaudé du précieux concept, que l’on finit en effet
par retrouver partout - éthique de l’Europe, éthique
de l’entreprise, éthique de la tranche de jambon bio. Comme
le remarque très pertinemment Monique Canto-Sperber dans un article
récent, “le terme éthique s’est vu progressivement
priver de son contenu à force d’être utilisé
de façon indifférenciée”, et il est maintenant
“l’adjectif le plus indéterminé et le plus valorisé
de la langue française” (Esprit, mai 2000, p. 114), une pure
injonction moralisante ou un argument d’autorité, sans rien
à voir avec la véritable réflexion éthique.
On pourrait trouver assez ironique que le grand retour de la philosophie
morale, qui a probablement joué sur cet attrait indéterminé
du public pour l’éthique (la demande éthique, pourra-t-on
dire comme on a parlé de “demande philosophique”),
se retrouve en contradiction avec cette banalisation de l’éthique.
Mais peu importe en réalité. Je souhaite m’interroger
ici, plus généralement, sur ce qu’on oppose maintenant
à cet usage ordinaire et “incertain” de l’éthique,
à savoir, pour reprendre encore la proposition de M. Canto-Sperber,
l’exigence d’une véritable réflexion normative
: “derrière ce terme, il y a une démarche intellectuelle,
qui requiert souvent un savoir précis, des méthodes de raisonnement
et des procédures” (ibid. p. 116). L’usage banalisé
de l’éthique ignore donc tout le travail d’analyse
de la réflexion morale, ses débats et raisonnements, qui
commencent tout juste à trouver leur place ici.
(...)
Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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