Que
peut-on demander à la philosophie morale ?
Vincent Descombes
Schopenhauer disait : "prêcher la morale est facile, fonder
la morale est difficile" (Moral predigen ist leicht, Moral begründen
schwer). Wittgenstein a repris cette opposition du discours moral et de
la philosophie, mais il l'a présentée ainsi : "prêcher
la morale est difficile, fonder la morale est impossible" (Moral
predigen ist schwer, Moral begründen unmöglich). Pour Schopenhauer,
tout le monde sait bien ce qui est moral : aussi est-il facile de prêcher
la morale. C'est pourquoi on attend du philosophe tout autre chose : qu'il
la fonde. Wittgenstein se sert de la maxime bien frappée de Schopenhauer
pour présenter tout autrement la situation : l'office du philosophe
n'est ni de prêcher, ni de fonder. Mais alors, la philosophie morale
n'est-elle pas dans l'impasse ?
La réponse pourrait venir d'une réflexion sur les difficultés
d'un discours moral édifiant. Même si c'est difficile, "prêcher
la morale" n'est pas une tâche facultative (dont croient devoir
se charger certains esprits enclins à moraliser, à morigéner
les autres). C'est une nécessité pratique (tout éducateur
doit "prêcher la morale", à la fois par l'exemple
et par une explication pertinente du bien-fondé des règles,
normes, exigences qui forment la morale). On peut donc juger que la tâche
du philosophe n'est pas de fonder la morale (puisque c'est impossible),
mais plutôt d'aider chacun de nous dans une tâche qui, pour
être difficile, n'en est pas moins nécessaire.
(...)
Nb : la totalité de cet article est disponible dans la version
papier de Cités.
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