Sommaire général
 
  Débat : Santé publique et qualité de vie
 
 

Introduction

Le concept de qualité de vie


Emmanuel Picavet


L'ancrage des mesures de la qualité de vie utilisées en médecine dans une conception subjectiviste du bien-être ne fait aucun doute: il s'agit bien de parvenir à une description objective de la satisfaction des personnes dans leur existence propre, que l'on puisse rendre utilisable pour la décision ou bien à des fins seulement scientifiques et prédictives. De là, un double héritage intellectuel: les efforts de mesure utilitariste et de comparaison interpersonnelle du bien-être ( dans le prolongement des travaux de philosophie morale et d'économie), d'une part, et d'autre part la psychophysique et son expérience des problèmes de mesure. Sur cette base, l'émergence du thème de la qualité de vie en médecine et les protocoles de mesure associés contribuent à donner une voix, une expression au point de vue du patient, à partir de l'expérience vécue de la maladie, de la souffrance et de la guérison.
Si la robustesse statistique des résultats impressionne, il n'en demeure pas moins que certaines questions de méthode, voire de délimitation du champ d'enquête, sont mal résolues. Dans ces brèves remarques, je voudrais indiquer une voie possible pour l'introduction d'autres facteurs que le bien-être psychologique dans la conceptualisation de la qualité de la vie liée au statut de santé. Plus précisément, je voudrais tenter de montrer que l'évolution récente du débat sur le bien-être en éthique sociale appliquée aide à mettre en évidence certains éléments allant au-delà du subjectivisme, et qui ont toujours été présents dans le développement opératoire des indicateurs de qualité de la vie liée à la santé. Il ne s'agira donc pas tant de critiquer les travaux réalisés dans ce domaine que de mettre en question leur interprétation convenue (utilitariste et subjectiviste). Il se pourrait qu'en fait de qualité de la vie, on veuille saisir quelque chose de la liberté des personnes, de leur faculté de choix, ou encore de la satisfaction de leurs besoins. Peut-être réalise-t-on dans ce domaine, à quelque degré, le voeu que formulait James Griffin pour l’évolution de l’enquête morale: ne pas prolonger indéfiniment les discussions abstraites de la méta-éthique, mais chercher à développer des théories morales et prudentielles substantielles et détaillées, potentiellement éclairantes pour de vastes champs d’études.