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Introduction
Christian Lazzeri
La question de la parité à ouvert un débat à
la fois important et complexe dans la vie politique Française.
Ce débat comporte aussi bien une dimension philosophique (articulation
des droits de l'homme et de ceux du citoyen ; question de la division
sexuée du genre humain ;interprétation communautariste ou
non de cette division…) qu'institutionnelle et constitutionnelle
(rôle des juges constitutionnels et du législateur ; organisation
de la vie des partis ; question technique des scrutins). Pour entrer dans
ce débat, il n'est pas nécessaire de s'appesantir sur le
constat de départ relatif à la sous représentation
des femmes dans la vie politique en général et dans les
assemblée politique en particulier. On a souligné à
de multiples reprises que cette sous représentation, phénomène
de longue durée, est structurellement accentuée dans la
situation française. Le constat est aussi fait que, malgré
l'article 6 de la Déclaration des droits de 1789 (égale
admissibilité aux emplois publics sans autre distinction que la
vertu et le talent) ; malgré le troisième alinéa
du préambule de la Constitution de 1946 (la loi garantit à
la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux
de l'homme) cela n'a pas beaucoup eu d'effet sur la représentation
politique des femmes depuis que le suffrage est devenu universel (5,6
% des femmes en 1945 ;10, 9 % des femmes en 1997) : de là l'idée
d'inscrire l'égal accès aux mandats et aux fonctions dans
la loi. En 1982, G. Halimi réussissait à introduire un amendement
dans une loi sur l’élection des conseillers municipaux selon
lequel, dans les élections municipales, on ne pouvait dépasser
un certain quota de personnes du même sexe sur les listes de scrutin.
Le Conseil d'Etat, en se référant à l’article
3 de la Constitution et à l’article VI de la Déclaration
de 1789 a, comme on sait, censuré cette loi sans d’ailleurs
avoir été saisi de la disposition spéciale concernant
les 25% de femmes. Il devenait donc impossible d'inscrire la parité
dans un dispositif législatif sans modification des articles 3
et 4 de la Constitution. Celle-ci est intervenue en juillet 1999 et c'est
cette modification - particulièrement celle de l’article
3 - qui a ouvert le débat récent sur la parité présentant
la particularité d'être transversal à l'égard
de la division politique droite gauche en instaurant des clivages à
l'intérieur de chacune des forces politiques ainsi qu’au
sein des paritaristes et des anti-paritaristes (tous les paritaristes,
par exemple, n’étaient pas d’accord pour modifier l’article3…)
Une des caractéristiques de ce débat est qu'il a dû
en partie se situer sur le terrain des « anti-paritaristes »,
qui ont d'emblée avancé un ensemble d'arguments sur les
dangers de la parité et leurs arguments devaient d'autant plus
être pris en compte qu'il n'émanaient pas (ou pas tous) d'adversaires
a priori de la cause des femmes. On peut schématiquement regrouper
ces arguments en trois thèses :
1°) la modification de la Constitution dans le sens d'une sorte de
« discrimination positive » en faveur des femmes (qu'il s'agisse
de quotas ou d'une stricte parité arithmétique dans les
scrutin de liste) est apparu comme une atteinte fondamentale au principe
de souveraineté dans la mesure où l'article 3 de la Constitution
de 58 reprenant l'article 3 de la déclaration de 1789 et le titre
III de la Constitution de 1791 pose que « la souveraineté
nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants
et par la voix du référendum. Aucune section du peuple ni
aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ». En conséquence,
la souveraineté ne peut résider que dans la collectivité
comprise comme un pouvoir constituant indivisible et non comme l'agrégation
d'un ensemble d'individus ou de groupes sociaux, pouvoir dont la volonté
est dégagée par ses représentants sur la base d'une
représentation par l'Assemblée toute entière. Ainsi,
la qualité de représentant est attribuée à
l'organe de représentation dans son ensemble et non à telle
ou telle fraction de ses membres qui ne représentent rien à
titre individuel. L'unité et l'indivisibilité de la souveraineté
n'appartiennent pas in abstracto à la nation, elle appartiennent
à la nation en tant que représentée dans son unité
par un représentant unique et juridiquement indifférencié
: c'est donc l'unité du représentant qui fait l'unité
du représenté dans l'unité de la représentation.
Nul ne peut, ainsi comme fraction du représentant représenter
qui que ce soit (groupe social, fraction de citoyens etc..). L'introduction
de quotas dans la représentation pourrait aboutir exactement à
cela : représenter certaines catégories de citoyens par
d'autres, par exemple les femmes par les femmes, les hommes par les hommes
etc. : la perte d'unité du représentant entraînant
du même coup celle du représenté, on en reviendrait
alors à une conception de la sommation des intérêts
contraires au concept de volonté générale, donc à
une représentation catégorielle d'intérêts
qui transformerait le système politique en un groupement corporatif,
avec retour au mandat impératif pour les représentants et
abandon de l'idée selon laquelle la représentation incarne
l'intérêt général qu'elle extrait par ses délibérations.
2°) Dans la continuité du premier argument, on a pu soutenir
que si on accepte la fragmentation de la représentation, on accepte
alors l'ouverture d'une demande de représentation multiple d'intérêts
de groupes sociaux différents qui amorcera inévitablement
un mouvement vers la communautarisation du système politique (sexuelle
au delà des femmes, ethnique, religieuse, culturelle... ) avec
la multiplication de demandes de quotas pour les citoyens qui se sentiraient
sous (ou non) représentés.
3°) Une telle demande de révision constitutionnelle, surtout
si au-delà de l'article 3, elle s'attaque à l'article 4
qui stipule que les partis politiques qui concourent à l'expression
du suffrage « se forment et exercent leurs activités librement
», équivaudrait à une atteinte à la liberté
des électeurs. C'est, en effet, l'Etat qui s'immiscerait de façon
indirecte dans la composition des listes des partis en sélectionnant
de façon détournée les candidats dans les scrutins
de liste. Cet argument se double d'un argument relatif à la question
de la compétence qui se veut comme une réplique de l'argument
opposé à l'affirmative action aux USA : avec l'instauration
des quotas, les candidates choisies le seraient pour des raisons qui n'ont
pas forcément à voir avec la compétence, mais avec
le remplissage obligatoire de la liste en fonction des exigence du quota
. D'où le sentiment « d'humiliation » dont on a pu
faire état, avec, comme effet pervers, la reproduction probable
d'une ségrégation à l'envers : une opposition ouverte
à l'égard de l'article 6 de la Déclaration ( l'accès
au mandat repose seulement sur la vertu et le talent ) qui ne manquerait
pas de se retourner contre les femmes elles-mêmes.
De cette argumentation, les anti-paritaristes concluent , non pas à
la nécessité d'une absence de réforme concernant
l'accès égal des femmes aux mandats et aux fonctions électives,
mais à la nécessité de ne pas modifier l’article
3 de la Constitution. Seul l’article 4 aurait dû être
modifié de façon spécifique pour permettre au législateur
de recourir à la distribution de primes aux partis qui pratiquent
la parité ou recourir à des sanctions financières
lorsque celle-ci n'est pas appliquée. En second lieu, ils expliquent
qu'il n'est pas nécessaire d'imposer par la loi une réforme
qui doit avant tout provenir de l'évolution de la société
civile et de l'ensemble des conflits qui peuvent faire évoluer
les attitudes à l'égard de la représentation des
femmes en politique : les partis politiques finiront bien par céder
à ce mouvement d'ensemble sans qu'il soit besoin de recourir à
une réforme politique de cette ampleur.
À cet ensemble argument les paritaristes ont pu opposer que le
principe de l'unité indivisible du peuple souverain exprimé
dans l'unité de la représentation parlementaire, tout comme
l'article 6 de la Déclaration n'ont pas réussi, depuis deux
siècles, à inscrire dans la réalité politique
l'égalité réelle entre hommes et femmes. Plus encore
: la proclamation de l'unité de la représentation et de
sa non liaison théorique avec des intérêts particuliers
ne garantit nullement que la représentation fonctionne conformément
à son principe : intérêts représentés
par territoire, par groupes sociaux professionnels, par classes ; système
de vote par négociation (log-rolling) entre partis, masculinité
écrasante de l'Assemblée qui n'a jamais permis la mise en
oeuvre d'une politique approfondie à l'égard des femmes
; tout cela fait que l'argument anti-paritariste risque de se transformer
en son contraire, à savoir que le principe de souveraineté
est déjà dévoyé dans le fonctionnement des
assemblées puisque la représentation masculine ne prend
pas en compte l'intérêt des femmes. On peut sans doute recourir
au potentiel critique du concept abstrait de citoyenneté pour interdire
qu’une telle discrimination négative ne puisse fonctionner,
mais les paritaristes font observer qu’il ne reconnaît pas
juridiquement les femmes en tant que telles, interdisant ainsi que l’on
puisse prendre des mesures positives les concernant sans modification
de la Constitution. Dans ces conditions, ne pourrait-on dire qu'il y a
déjà usurpation de la souveraineté par une «fraction»
du peuple contrairement à la déclaration Constitutionnelle.
L'argument paritaire en faveur de la réforme ne se comprendrait
donc qu'en rapport avec cette infraction initiale massive. En ce sens,
il ne serait pas possible de soutenir que le projet paritariste doit être
interprété comme la promotion d'un « différentialisme
» qui exigerait que soit reconnu un avantage spécifique aux
femmes pour faire droit à une simple différence biologique
qui devrait trouver une traduction politique : en fait, il s'agit seulement
d'une demande de « discrimination positive » destinée,
en réalité, à rétablir une égalité
initialement violée qui disparaissait derrière la soi-disant
application «neutre» du principe d'unité de la représentation.
Le principe de parité n'introduirait pas un différentialisme
dans la représentation : celui-ci y figure déjà,
mais sans aucune présence visible. Il ne s'agit que d'en prendre
acte et d'inscrire la compensation à son égard dans le droit,
démarche relativement courante en droit Français sous la
forme de dérogation à tel ou tel type de norme pour rétablir
l’égalité.
Il en résulte que si on refuse le principe de parité au
nom de l'argument de l'usurpation de souveraineté par une fraction
du peuple, il faut commencer par l'appliquer à la situation du
statut quo et conclure que si l'argument différentialiste peut
être utilisé contre les paritaristes il vaut tout autant
contre les anti-paritaristes. Quant à l'argument selon lequel la
demande de compensation ouvrirait la porte à un mouvement de communautarisation,
il a été répondu que la division du genre humain
en sexe n'est pas réversible comme n'importe quel autre appartenance
communautaire : elle est constitutive, ce que ne sont pas les autres,
en même temps qu'il existe une oppression uniforme et inter culturelle
des femmes. Concernant l'atteinte aux libertés électorales
en raison de la contrainte étatique qui s'exercerait sur les partis
politiques on a fait valoir deux aspects : le premier est qu'il n'est
peut-être pas certain que la contrainte légale limite indirectement
la liberté de l'électeur dans la mesure celle-ci ne s'exerce
pas en ce qui concerne le choix de la composition de la liste, mais en
ce qui concerne le choix entre des listes déjà constituées
: il n'y a donc pas plus de liberté dans un cas que dans l'autre.
Le second aspect, concernant la question de la compétence, consiste
à se demander si l'argument est ici recevable, comme il le serait
peut-être dans le cas d'un recrutement professionnel : il pourrait
en effet valoir s'il était établi que la sélection
des candidats par les partis politiques est d'abord dictée par
un impératif de compétence a priori vérifiable par
les électeurs, ce qui est loin d'être le cas et une liste
entièrement masculine est, de ce point de vue, tout aussi problématique
qu'une liste formée de quotas au profit d’un rééquilibrage
envers les femmes. Plus encore, le recours à un argument de compétence
contre le paritarisme s’avérerait paradoxal dans la mesure
où il consiste à retourner contre les paritaristes leur
propre argument en le transformant en argument négatif : l'argument
du quota n'est pas a priori un argument contre la compétence, il
consiste en réalité à compenser le fait qu'on écarte
originairement des femmes compétentes en ne tenant compte que de
leur sexe (ce qui n'a rien à voir avec la compétence) :
l'instauration du quotas serait alors destiné à corriger
l'inégalité initiale en insistant sur la raison pour laquelle
une candidate est écartée malgré sa compétence
: son sexe. Mais il n'a jamais été demandé d'ignorer
le facteur de la compétence.
Cela étant, l'instauration de quotas impliquera l'existence de
choix entre différentes candidates afin de les départager
et on ne voit pas pourquoi – soutiennent les paritaristes - la compétence
ne pourrait pas intervenir dans ces conditions de la même manière
qu'elle est censée intervenir dans le cas des hommes. Mais, en
tout état de cause, on devrait prendre garde à ne pas tomber
dans l'incohérence : ou bien l'argument de la compétence
est valable et il vaut aussi en faveur du paritarisme, ou bien on peut
l'opposer aux paritaristes, mais il se retourne aussi contre les anti-paritaristes.
En dernier lieu, si on souhaite ne pas recourir à une modification
constitutionnelle au profit de mesures telles que le financement des partis
politiques, on pourra soutenir à bon droit que l'instauration de
la prime ou de la sanction financière est probablement plus «
humiliante » que la modification de l'article 3 de la Constitution,
puisqu'elle consiste purement et simplement à « acheter »
la place des femmes sur les listes électorales. Quant à
l'argument qui fait valoir qu'il n'est pas nécessaire d'imposer
par la loi ce qui doit d'abord venir d'un conflit social destiné
à débloquer l'attitude des partis politiques, on pourrait
fort bien juger qu'il ignore qu'une lutte pour la « reconnaissance
» si elle ne veut pas en rester à un stade informel et précaire
doit, d'une manière ou d'une autre en venir à s'inscrire
dans la loi afin d'éviter qu'un retournement toujours possible
de conjoncture n'en vienne à annuler ce qui était considéré
comme acquis.
Les discussions théoriques concernant le principe de parité
ne sont sans doute pas closes, mais la modification constitutionnelle
a bien eu lieu et la loi concernant les scrutins de liste a été
votée au Parlement en janvier 2000. De ce point de vue, il importe
aussi de savoir si c'est bien la parité qui a été
inscrite dans la Constitution et si la loi récemment votée
peut s'en réclamer de près ou de loin. Rien n'est moins
sûr. On rappellera pour mémoire que la modification de l'article
3 de la Constitution dit seulement que « la loi favorise l'égal
accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctions électives » : le terme parité ne figure
nullement dans le texte de la modification constitutionnelle et l'utilisation
de l'expression «favorise » semble concerner le législateur
en tant que simple obligation de moyens et non de résultat. Il
y a donc matière à interrogation concernant l'ampleur et
la profondeur de la réforme constitutionnelle. À cela s'ajoute
l'expression de cette réforme dans le dispositif législatif
voté par l'Assemblée nationale . Concernant les scrutins
de liste à un tour (sénatoriales, européennes, Assemblée
territoriale d'outre-mer) la loi précise que «chaque liste
est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe».
Cependant en ce qui concerne les scrutins de liste à deux tours
(municipales, régionales) la loi prévoit que «au sein
de chaque groupe entier de six candidats dans l'ordre de présentation
de la liste, doit figurer un nombre égal de candidats de chaque
sexe», autrement dit, le nombre égal de candidat n'est pas
exprimé par le principe de l'alternance un homme, une femme. Comme
le notait le rapporteur du projet de loi « le dispositif législatif
proposé pourrait permettre à des partis d'être en
conformité avec l'obligation paritaire - présentation d'autant
de candidatures féminines que masculines - sans pour autant que
cela se traduise, au niveau du résultat des élections, par
l'instauration d'une parité effective. Il suffit pour cela aux
partis de n'inscrire les candidates qu'en fin de liste, pour les élections
se déroulant au scrutin de liste ». En ce qui concerne les
élections législatives, le dispositif légal s'affirme
encore moins contraignant dans la mesure où il paraît particulièrement
malaisé dans une élection se déroulant au scrutin
majoritaire d'imposer dans une circonscription une candidature féminine
plutôt que masculine. Dès lors, la parité ne peut
être qu'encouragée par des voies indirectes consistant à
sanctionner financièrement (on y revient) les partis qui ne satisfont
pas aux critères paritaires. Mais il se pourrait fort bien que
l'on puisse satisfaire à ce critère d'un point de vue quantitatif
global concernant le nombre de femmes présentées par tel
ou tel parti alors même que les candidates se verraient attribuer
les circonscriptions non gagnables.
C'est de ces différents problèmes qu'entendent discuter
les textes réunis ici. On aura noté que leur nombre s'avère
plus favorable au point de vue paritariste qu'anti-paritariste ; cela
ne relève nullement du parti pris d'écarter la seconde option
au profit de la première, mais de ce que les représentants
de la position anti-paritariste n'ont pu, pour diverses raisons, ou n'ont
pas souhaité prendre part à cette discussion.
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