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  Dossier : Michel Foucault  
 

Présentation

Francesco Paolo Adorno


Dans le parcours théorique de Foucault, les années 70 représentent un moment privilégié dans la problématisation de la notion de pouvoir. Considérant que le discours sur la souveraineté cache l'exercice réel du pouvoir, son attention se concentre sur les rapports de dominations qui sont également des modes de subjectivisation des individus.
L'objet du présent dossier concerne un texte particulièrement important de Foucault, « Il faut défendre la société », Cours au Collège de France, 1976, où la conception du pouvoir connaît un tournant majeur. Foucault réalise une généalogie du discours historico-politique qui fait de la lutte contre le pouvoir en place une guerre indéfiniment présente au sein même de la société. Ce sont des historiens français et anglais du XVIe au XVIIIe siècles qui ont été les premiers à théoriser le fait que la société est traversée par une guerre silencieuse, mais réelle. Pour se défendre des tendances absolutistes de la monarchie, ils utilisent une grille interprétative des conflits de la société fondée sur une opposition binaire. Au-dessous du discours philosophico-juridique qui reconduit le problème du pouvoir à une question de souveraineté et de droits, ces historiens donnent voix au discours historico-politique qui montre que l'imposition du droit est une usurpation, le butin d'une guerre qui n'est pas finie, et qui ne finira jamais. Ces érudits des batailles, comme les définit Foucault, ont l'exigence de se défendre contre les vainqueurs qui monopolisent l'exercice du pouvoir. « Nous avons à nous défendre contre la société », disent ces historiens, parce que la société, l’État, les lois, le pouvoir ne sont pas des instruments de défense, mais ce sont des instruments d'oppression d'une « race » sur l'autre. La spécificité de leur discours consiste dans le fait qu'ils font de l'affrontement continuel qui traverse la société une guerre des races. Faut-il donc réactiver ce discours pour en faire la base des stratégies d'opposition à l'exercice du pouvoir ? Cette réactivation pose un problème : à partir du XIXe siècle le discours de la guerre des races a été repris dans des contextes particuliers et avec des buts très précis. Il sera, en effet, recodifié à l'intérieur des théories biologiques de la race. Après cette modification, il deviendra un des principaux éléments de la fonction normative du biopouvoir. Mais cette récodification peut se faire seulement dans la mesure où l'exercice et l'objet du pouvoir changent. Selon Foucault, à partir de la fin du XVIII siècle, le pouvoir n'est plus centré seulement sur les disciplines et ne s'applique plus seulement sur les individus, mais prend la forme de la gestion et de l'administration de la population, il devient ce qu'il appelle un biopouvoir. Cette nouvelle forme d'exercice nécessite la définition de nouveaux savoirs quantitatifs comme l'économie ou la statistique. Les théories biologiques de la race qui auront à justifier la sélection des ressources nécessaires à la reproduction de la vie constituent le côté obscur du biopouvoir. Le biopouvoir, né au tournant du XVIIIe et du XIXe siècles, s'exerce donc dans la double forme d'un savoir qui a la fonction de normativiser la population, et d'une théorie biologique de la race qui sélectionne les groupes dont la vie est gérée et administrée. Toutefois, à partir de cette définition du pouvoir, Foucault est amené, non à abandonner l'idée que les rapports de domination effectifs donnent lieu à un exercice disciplinaire du pouvoir, mais à constater l'existence d'un double exercice du pouvoir. Un pouvoir disciplinaire qui s'applique sur les corps et sur les individus et un pouvoir normatif et régulateur qui prend en compte la population.