Introduction
Emmanuel Picavet
L'analyse du choix rationnel constitue aujourd'hui, avec l'éthique
de la discussion (et souvent en conjonction avec cette dernière)
le coeur théorique de la philosophie politique. Pour cette raison,
il nous a semblé opportun de poser à un certain nombre de
théoriciens engagés dans cette démarche (ou dans
son questionnement critique) la question suivante:
"Quels sont, selon vous, les principaux enjeux du débat sur
le choix rationnel?"
Les réponses, réunies ci-après, offrent une vue panoramique
sur les enjeux et le progrès des débats en cours. Elles
reflètent la dynamique propre de la recherche dans plusieurs disciplines:
philosophie morale et politique, économie et sociologie prinfsi
de cerner les implications du débat actuel pour les rapports entre
ces disciplines et la psychologie d'une part, la biologie d'autre part.
Les travaux classiques de plusieurs auteurs célèbres (en
particulier John Rawls, David Gauthier, James Buchanan, John Harsanyi
et Kenneth Binmore) ont profondément renouvelé et approfondi
la théorie du contrat social, grâce à une approche
systématique de la rationalité des acteurs politiques.Par
ailleurs, la difficile question de l'articulation entre les choix individuels
et la décision collective a donné lieu à la constitution
d'un domaine d'étude particulier, celui de la théorie des
choix collectifs.
Les travaux de Kenneth Arrow, Allan Gibbard, Amartya Sen et Serge-Christophe
Kolm (entre autres) ont permis d'approfondir l'étude des relations
entre les différents critères de rationalité collective
et d'éthique sociale. Historiquement, ce sont la théorie
du vote, l'analyse de la planification et l'économie du bien-être
qui ont fourni à cette science nouvelle le répertoire de
ses problèmes et de ses outils d'analyse. Au fil des années,
toutefois, les modalités de l'insertion de la théorie des
choix collectifs dans la philosophie morale et politique générale
se précisent.
La volonté de prendre en compte de manière explicite les
problèmes stratégiques des choix collectifs, ainsi que les
progrès dans l'étude des droits individuels, expliquent
la configuration actuelle des savoirs dans ce domaine: la théorie
des choix collectifs et la théorie des jeux (fondée sur
la rationalité des acteurs individuels) coïncident assez largement,
et révèlent toujours plus clairement leur complémentarité.
Ces conquêtes s'accompagnent d'une nécessaire interrogation
épistémologique: comment représenter adéquatement
la rationalité des décisions? Et tout d'abord, comment définir
la rationalité pratique? il faut proposer des réponses à
ces questions: la fécondité des applications de la théorie
du choix rationnel au domaine politique est ce prix. L'approfondissement
de la dimension cognitive de la délibération et de l'acceptation
des normes, l'analyse de la dimension sociale des règles et l'élucidation
des rapports entre l'explication (rationaliste) de l'action humaine par
les raisons et l'explication (naturaliste) par les causes comptent, on
le verra, parmi les directions de recherche privilégiées.
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